Ce texte est ma contribution à l’agenda ironique d’août. Pour savoir ce dont quoi il était question, vous trouverez toutes les explications chez l’amie Bastramu.
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Ça faisait déjà une demie heure qu’on étaient là, côte à côte, arrêtés sur l’autoroute. Ce gros type avec sa grosse femme et ses deux mioches moches à l’arrière, dans sa grosse Merco décapotable blanche intérieur cuir. J’ai rien contre les gros mecs en décapotable en général, mais j’avoue qu’une demie heure c’est long quand on doit se farcir du Bénabar à fond sur les haut-parleurs de votre voisin d’embouteillage. C’est de la qualité les enceintes chez Mercedes. J’avais essayé plusieurs stratégies déjà. Fenêtres ouverte, c’était insupportable. Fenêtre fermées, c’était insupportable aussi. J’avais tenu 5 minutes. Mais quand j’avais commencé à transpirer des paupières et que la température avait atteint les 45 degrés dans ma petite Autobianchi noire, j’avais craqué et je m’étais résignée à subir Bénabar.
Une heure plus tard, on n’avait pas avancé d’un poil. Le soir commençait à tomber et on était comme des cons dans une zone blanche, sans radio ni téléphone. Florent Pagny avait remplacé Bénabar, mais comme les mômes hurlaient dans la décapotable, ça couvrait un peu la musique. Le gros type gueulait aussi. La moche essayait de calmer tout le monde sans grand succès. Le mec a fini par sortir en claquant la porte en disant qu’il allait essayer de voir ce qui se passait. Il a remonté la file de voitures à pied. Il n’était pas le seul et pas mal de gens étaient sortis et allaient aux nouvelles dans les voitures autour d’eux mais visiblement le nombre de hochements de tête montrait que personne n’en savait rien. Un gars qui avait été jusqu’à une borne d’appel racontait qu’il n’avait réussi à joindre personne. À coté de moi, le moteur de la Mercedes tournait pour faire marcher la clim. Avec un peu de chance ils tomberaient en panne d’essence, ces abrutis.
On a entendu un crissement de pneus quand une voiture a subitement démarré. La conductrice a foutu la bagnole dans le bas côté, a sorti un sac du coffre et s’est barrée à travers champs. J’avais une furieuse envie de faire la même chose mais j’étais coincée dans la file du milieu et moi je roulais pas dans un SUV de location. Et puis mes vacances, les premières depuis deux ans, elles étaient au bout de cette route.
Ça faisait maintenant trois heures qu’on était là. La vue de la file ininterrompue de bagnoles devant et derrière moi était carrément déprimante. En plus, sur l’autre voie, y’avait pas un chat. J’étais certaine que quelqu’un allait finir par craquer et essayer de passer en contre-sens.
Des gens ont commencé à sortir de leur coffre des tables et des chaises et à s’installer pour pique-niquer sur la bande d’arrêt d’urgence. Pas certaine que ce soit une bonne idée, mais bon. Au début, ils voulaient pas partager la nourriture et les boissons, mais ils ont fini par se rendre à l’évidence qu’ils étaient moins nombreux que les gens qui avaient soif. Dans la Merco, la mère et les gosses avaient décidé de faire une partie de scrabble en écoutant du Johnny Hallyday et en mangeant leurs sandwichs. J’étais en train de me dire qu’ils avaient des têtes à tricher, quand un des morpions a balancé discrètement une lettre qui a atterri sur mes genoux. Bon, il leur manquerait un Y, mais il était hors de question de le rendre. Ma petite vengeance pour leur musique débile. Le gros mec était toujours pas revenu.
Il faisait nuit et on n’avait toujours pas bougé. Des gens avaient planté des tentes sur le terre-plein central ou s’installaient dans des duvets à la belle étoile et jouaient de l’harmonica. J’imaginais que si la situation se prolongeait ils allaient se mettre à frotter du bois pour faire du feu, fabriquer des arcs et des flèches, chasser pour se nourrir, construire un four pour faire des briques et se faire une maison comme dans L’île mystérieuse.
J’avais fini mes deux bouteilles d’eau tiède et mangé trois bonbecs qui traînaient dans la boite à gants. Personne n’arrivait à savoir ce qui se passait et on n’avait toujours vu personne sur la voie en contre-sens. Ni flics, ni pompiers, ni agents de sécurité. J’avais trouvé un reste de laine jaune en fouillant dans la bagnole à la recherche d’un biscuit oublié et je me suis fait un bracelet brésilien. Un bracelet de cheville. Ça m’a occupée plus longtemps. Je pensais à Julien qui m’attendait et qui devait s’inquiéter. J’avais fini le polar de poche que j’avais emporté pour la plage et la nuit s’annonçait mortelle d’ennui.
Je ne sais pas depuis combien de temps je dormais sur la banquette arrière quand j’ai entendu comme une rumeur. Comme un bruit de vague avec des cris de mouettes, sauf qu’on n’était pas sur l’île Lincoln et que la mer était encore à 400 km. C’était pas possible, mais je n’arrivais pas à trouver d’autre interprétation à ces bruits. Je me suis relevée pour regarder par dessus le tableau de bord. À côté la moche et les mioches dormaient et ronflaient tous comme des sonneurs. En canon. Mais leurs grognements ne parvenaient même plus à faire oublier ce grondement et ces cris. Visiblement, ça se rapprochait.
Je suis pas trouillarde de nature, mais j’ai quand même remonté les vitres et je me suis glissée au sol entre les deux banquettes, en serrant très fort la clef à molette qui traînait sous le siège passager. Et puis j’ai attendu.
En fait de cris, c’était plutôt des hurlements. Et pas des hurlements de joie. Il y avait aussi des bruits de tôle froissée, des bruits de verre qui explose. Il y eut même un coup de feu. Un seul. Je me faisais toute petite entre les sièges, immobile, osant à peine respirer quand quelque chose est monté sur la voiture en grimpant sur le capot, a enfoncé le toit en marchant dessus et a secoué toute la bagnole en descendant. Visiblement, à entendre les cris stridents de terreur pure qui venaient de la Mercedes, quelque chose se passait très très mal. Un instant, j’ai regretté Bénabar.
Je suis restée collée au sol de l’Autobianchi longtemps après que le silence soit revenu. Les articulations de ma main étaient devenues blanches et j’avais des crampes, mais j’étais trop tétanisée pour bouger. Le ciel blanchissait quand j’ai enfin osé ouvrir ma main, poser délicatement la clef à molette sur la banquette arrière et me déplier pour essayer de comprendre ce qui s’était passé. Il y a avait tellement de silence que j’aurais pu être sourde. Je me suis relevée doucement, très lentement et j’ai jeté un œil dehors. Ce que j’ai vu m’a fait l’effet d’un gant de boxe dans le plexus.
La Mercedes blanche était barbouillée de rouge sombre et un bras déchiqueté à l’os pendait de la portière. Dans la voiture, ça ressemblait à l’intérieur d’un hamburger. J’ai ouvert doucement et je suis sortie en détournant le regard. Sauf que c’était à peu près le même spectacle partout autour de moi. J’ai commencé à vomir.
C’est quand le bras a bougé que j’ai commencé à courir.
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à table !!
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Peut-être verras tu les hamburgers avec œil un peu différent … Désolée !
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Super! Je me suis bien amusee. 🙂
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J’aime beaucoup…
un petit côté « Benacquista » dans ce texte !
(c’est un compliment)
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C’est même un superbe compliment. J’en rougis.
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« …ça couvrait un peu la musique… » il vaut mieux c’est vrai, elle est évidemment pas en bonne santé, elle pourrait prendre froid.
Ma foi, et non pas mon foie, hum. Bonne nouvelle :
https://dai.ly/x7fh8v3
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Vivement le 30 octobre !
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Quel récit ! un régal …
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Merci !
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Encore 😉 J’aime tes histoires
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Merci Patchcath. Ça me touche beaucoup. J’attends le mois de septembre avec impatience 🙂
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Un texte puissant, touchant et très bien écrit ! Une chute inattendue, qui plus est ! Merci !
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