Clair de lune

Voici donc ma contribution à l’agenda ironique de juillet où il devait être question de lune. Je n’ai pas complètement rempli la consigne que j’avais moi même donnée mais le titre rattrape un peu les choses. Bonne lecture.

 

Ils s’étaient rencontrés un après midi de juin. Un de ces après-midi interminables du solstice d’été. Ça avait commencé dans cette guinguette temporaire installée pour l’été sur le bord du fleuve. Une blague en avait entraîné une autre et quand le soleil avait enfin décidé d’aller voir ailleurs, ils étaient toujours là, assis sur le quai à regarder filer les eaux calmes et les cormorans retardataires.
La soirée avait été tacitement reconduite. La guinguette, le quai, la tombée du jour.
La séparation devenant de plus en plus difficile au fil des jours, ce n’est qu’à l’aube qu’ils se quittaient désormais.
Juillet les trouva au même endroit et mis à part quelques soirées d’orages, fidèles au rendez vous. Ils n’avaient échangé que des mots mais ce dialogue ininterrompu les liait irrémédiablement et les ramenait, chaque soir, au même endroit.

– Demain je ne serai pas là.
– Après demain alors ?
– Ni demain, ni après, ni plus aucun des autres jours. Je pars.
– Tu pars et tu ne reviendras pas, c’est ça ?
– Je ne sais pas.

Les eaux du fleuve était tout à coup devenues plus sombres, la pierre du quai plus dure.

– Je pars très loin et tu ne peux pas venir avec moi.
– Si tu veux…
– Même si je le voulais, je ne pourrais pas t’emmener là où je vais.
– C’est si loin ?
– Encore plus loin que tu ne l’imagines.

Pour la première fois le silence les entoura, étouffant le clapotis des vaguelettes et le chant des premiers oiseaux.

– Qu’est ce que je vais faire sans toi ?
– Je suis là. Et je serai là, chaque soir, avec toi. Pas réellement, c’est vrai. Mais une partie de moi sera toujours là, à tes côtés. Tu pourras continuer à me parler. Et moi je continuerai à te parler. Ce sera juste un peu différent.
– Avec le temps, j’oublierai ton visage, le son de ta voix…
– Tu vois la lune ? Où que je sois je la verrai aussi. Parle lui comme tu me parlerais à moi. Je t’entendrai. Et moi je lui parlerai et tu m’entendras.

La pleine lune éclairait leur visages graves. Comme aurait pu le faire un pâle soleil de fin novembre.

– Et si un jour tu reviens ?
– Si je reviens, la lune te le dira. Et on se retrouvera ici pour poursuivre cette histoire.
– Si tu reviens, je serai là.

Il n’y eu qu’une silhouette assise au bord du quai le lendemain. Et le jour d’après. Et de nombreux autres jours.
Le temps passa et un jour il n’y eut plus personne.
Chaque soir cependant, la lune écoutait le récit d’une journée, la naissance d’un enfant, un voyage, l’éclosion d’une rose. Pendant quelques mois elle avait semblé répondre, mais sa voix avait fini par s’éteindre.

————–

Toutes les après-midi interminables de l’été, là où autrefois on installait une guinguette pour la saison, une vieille personne venait, chaque jour à la même heure, s’installer sur un banc. Elle y passait une bonne partie de la soirée en marmonnant puis s’éloignait lentement. Sa présence était devenue familière et n’inquiétait plus les jeunes qui jouaient au football dans le parc au bord du fleuve.
On était en juillet et ce jour là son banc était occupé. Elle s’y installa sans lever les yeux.

– Je suis revenu.
– Tu en as mis du temps.
– J’étais loin.
– Tu m’as menti, la lune a fini par ne plus me répondre.
– Je ne t’ai pas menti. Je lui ai parlé tant que j’ai pu la voir. Ensuite j’ai parlé à la lune de Kepler-1625 b. Mais toi tu ne pouvais pas la voir. Je lui ai parlé pendant tout le mois que j’ai passé là bas.
– Et toutes les autres années, tu as parlé à qui ?
– Je te l’ai dit, j’étais loin, vraiment très loin. Là où j’étais le temps passe un peu différemment.
– Tu aurais pu me prévenir.
– Si je l’avais fait, ça aurait changé quoi ?
– Rien sans doute.

Le silence retomba comme une enclume.

– Je suis là. C’est tout ce qui importe. Je suis là aujourd’hui, je serai là demain et tous les autres jours.
– Pour le peu de jours qu’il me reste tu ne prends pas trop de risques.
– Justement, ne perdons pas de temps. Où en étions nous ?

 

Illustration : William Turner – Etude de clair de lune à Millbank, 1797

19 commentaires sur “Clair de lune

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  1. https://www.pourlascience.fr/sd/astrophysique/une-exolune-confirmee-autour-de-lexoplanete-kepler-1625b-15091.php
    Le mystère s’épaissit… Le personnage serait parti sur une exolune… Mais bon sang mais c’est bien sûr un allumeur de lune, et il est parti en tournée … tant d’années… pauvres humains que nous sommes … perdus dans le désert ou en bord de mer! Merci Louise de cette très jolie fable onirique

    Aimé par 1 personne

  2. Oh, on a eu la même idée d’illustrer le thème avec un tableau de W.Turner. En même temps qui mieux que le maître de la lumière pour peindre la lune ? 🙂
    Ton texte est à l’image du temps qui passe, un peu amer, un peu hors du temps, le tout saupoudré de rêve. Tout pour faire un joli conte ! 🙂

    Aimé par 2 personnes

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